Le 6 mai, jour (férié) de la Saint Georges et fête de l'armée en Bulgarie, a eu la bonté de tomber un jeudi cette année : un weekend de quatre nous est offert. J'en profite pour partir dans un pays dont j'ai beaucoup entendu parler, mais où je ne suis pas encore allée : la Macédoine. Le 6 mai est une date très importante pour les Roms,
l'Ederlezi, mais je n'ai pas eu l'occasion de la fêter à Skopje (et je découvre maintenant -de retour à Sofia- que Skopje est considérée comme la ville la plus peuplée de Tsiganes au monde !).
J'aime vivre à Sofia pour le fait qu'en une nuit de bus ou de train, on peut être à Istanbul, Bucarest, Belgrade, ou Skopje. J'arrive de très bon matin dans la capitale macédonienne, d'autant plus tôt qu'il y a une heure de décalage avec la Bulgarie. Tout ce qui est écrit autour me semble drôle, car beaucoup de mots ressemblent au bulgare mais sont écrits différements, quelques lettres en moins, quelques lettres en plus. Il fait encore nuit noire et les sièges du bus n'étaient pas très confortables (surtout que les passages de frontières tombent toujours juste quand on vient de réussir à s'endormir...), donc je décide de me rendre dans une auberge de jeunesse, Art-Hostel, en espérant que l'endroit serait aussi sympa que son homonyme à Sofia.
Je sais d'expérience bulgare qu'il faut se méfier des chauffeurs de taxi, mais celui que je rencontre à Skopje est gonflé. C'est vrai que je découvre la monnaie macédonienne, les denars, et que je dois sembler incertaine (et étrangère de toute façon). En lui tendant un billet, je sens un éclair d'excitation qui le traverse : est-ce que je suis assez ignorante du prix à payer pour qu'il parvienne à ne pas me rendre la monnaie ? Mais je sens l'arnaque, ne lâche pas, et finis par récupérer ce qu'il me devait, énervée qu'il ait essayé de m'avoir mais heureuse qu'il n'ait pas réussi.
Un panneau indique l'Art-Hostel. A côté, une porte ouverte, de la musique, des jeunes... Je tombe sur une fête, pour un anniversaire. L'un des mecs (Alex) m'explique que ce n'est pas l'auberge de jeunesse et m'y emmène, mais on sonne et personne ne répond. Il me propose alors de les rejoindre. Ce sont un groupe de volontaire européens de France, Portugal et Estonie ! Ces premières heures à Skopje sont complètement dingues. Quatorze personnes vivent normalement dans la maison, mais ce soir, ou plutôt ce matin, tout le monde arrive de partout. Même à un moment d'une fenêtre à l'étage, en marchant sur les volets de l'étage d'en-dessous, un vrai numéro d'acrobate. "Ah tiens, le barman du bar où on était ?!" Ma présence n'a rien de surprenant finalement. Tout le monde chante, danse, on entend un peu toutes les langues. Un Anglais qui lui aussi cherchait l'auberge de jeunesse nous rejoint plus tard et on s'endort à l'heure du petit-dèj. Bienvenue en Macédoine !
Ces volontaires travaillent pour un festival de théâtre, "
Faces without Masks". On est tous tellement habitués à ce que les gens ne connaissent pas le service volontaire européen qu'on est très surpris de se rencontrer par hasard, surtout que je travaille aussi pour un festival ! Ces volontaires sont ingénieurs-son, photographes, producteurs, musiciens... Très sympas et accueillants ! D'après ce qu'ils me racontent, ça va très mal pour la culture en France. Ce n'est pas qu'ici non plus les choses marchent mieux : un peu partout, l'avenir semble sombre... Chaque année est un défi pour le Balkan Youth Festival.
Je pars dans l'après-midi marcher dans la ville. Je n'ai pas l'impression d'être dans un monde complètement inconnu, car beaucoup de choses me rappellent la Serbie et la Bulgarie et car on arrive à communiquer, mais en même temps ce pays ne manque pas de surprises. Florie, une des volontaires, m'avait prévenue qu'il y a des drapeaux partout. "Ils essaient dur d'être une nation".
Voici comment elle voit la situation : la Grèce revendique le nom de la Macédoine (d'où l'appelation
FYROM - Former Yugoslav Republic Of Macedonia), la Bulgarie la langue (vu par certains comme un dialecte du bulgare) et la Serbie le territoire. Cette carte du Monde Diplomatique est plus claire que toute explication :
La Macédoine, revendiquée par tous ses voisins
En haut, le mot "Fierté", puis le liste de grands hommes (Philippe de Macédoine, Alexandre le Grand, le tsar Samuil, Gotse Delchev, Cyril et Méthode...) et en bas, "Soyez fiers d'être Macédoniens"
De la place Macédoine, où Gotse Deltchev à cheval trône à côté d'un énorme drapeau macédonien, je prends le vieux pont de pierre ottoman sous lequel le Vardar coule avec un courant qui rend la rivière de Sofia encore plus ridicule que je ne la trouvais déjà.
Au milieu des vagues, une statue de plongeuse et deux pieds : l'autre plongeur déjà sous l'eau.
De l'autre côté, la vieille ville commence. Les maisons me rappellent Melnik et la Macédoine bulgare. La Macédoine n'est pas seulement le territoire de la république de Macédoine, mais il y a aussi une Macédoine bulgare, appelée Macédoine de Pirin, et une Macédoine grecque. Sandanski, où a lieu le Balkan Youth Festival, se trouve justement dans cette région. J'ai l'impression que le quartier est majoritairement turc. Je marche au hasard, prenant les rues qui me plaisent, sans but.
Le grand marché couvert est très animé et les petites différences d'orthographe des mots sur les étiquettes me font sourire.
Plus loin, le quartier semble plus résidentiel. Les plaques des noms de rues sont en macédonien et dans une autre langue qui ne ressemble pas à du turc. Je pose la question en bulgare à un passant qui me répond en allemand que c'est de l'albanais.
Sur le chemin du retour, je m'arrête au musée ambitieux d'histoire, d'ethnologie et d'archéologie. Il est vide de visiteurs, les gardiens allument spécialement la lumière pour moi. L'histoire, comme à Sofia, s'arrête après la Seconde Guerre Mondiale : ils sont frustrants ces musées. J'arrive ensuite sur la forteresse qui surplombe Skopje, juste à temps pour l'orage. Les éclairs sont assez loin et la pluie légère, l'ambiance me plaît. Si seulement mes chaussures n'étaient pas trouées...
Puis le soleil revient. Je visite le musée de Gotse Deltchev, héros de la libération macédonienne des Ottomans, qui est aussi considéré comme un héros national par les Bulgares (une ville porte son nom en Bulgarie). Il est enterré dans la cour de l'église St Sauveur, que je visite. La guide m'explique tout en macédonien et parle parfois pendant bien trente secondes sans que je sache de quoi. Mais je n'ose pas l'interrompre tellement elle a l'air enthousiaste : j'essaie de deviner ce qu'elle dit par rapport aux morceaux que je comprends. Les fresques et sculptures valent le détour. La porte a volontairement été construite très basse pour que les croyants, en entrant dans l'église, s'inclinent.
Vient l'heure de retrouver Vlatko, qui était volontaire pour le Balkan Youth Festival en septembre dernier. Fidèle à lui-même, souriant, très tranquille : ça fait plaisir de le revoir !
Après un tour au centre culturel des jeunes (MKC) où les volontaires répètent leur spectacle, on se balade dans la ville et on se pose près du fleuve dans la soirée. On va ensuite dans un petit bar "africain" à la déco faite d'objets récupérés ou achetés dans des marchés aux puces, mais une souris nous en déloge : le bar ferme pour appeler les dératiseurs.
De retour chez les volontaires, on reste discuter et jouer de la musique tard dans la nuit. Le kaval a beaucoup de succès et tout le monde s'y essaie. Un volontaire portugais s'en tire d'ailleurs pas mal en en jouant comme un didgeridoo -mais avec cette technique on ne peut pas faire beaucoup de notes. Alex travaille avec les sons (comment dire ?), il est DJ de temps en temps et compose aussi sa propre musique, que je vous conseille d'écouter (télécharger
ici).
Le lendemain, retour au centre. A gauche, un bâtiment à la gloire de Tito.
A droite, plus loin, une maison très originale à la mémoire de Mère Thérésa (qui était Macédonienne).
Un immeuble attire mon attention par son architecture.
Je m'approche pour prendre des photos, puis décide de monter dans l'immeuble voir les gens qui y habitent... Je pourrais toujours dire que je suis étudiante en architecture, au pire. Pas de lumière dans la cage d'escalier, sauf en haut, où soudain un éclairage automatique laisse apparaître quelques marches d'un kitsh absolu imitation antique (égyptienne, romaine, grecque, pas de jaloux).
Je sonne : les yeux d'un petit lion autour du bouton s'allument en rouge. Une femme m'ouvre. C'est son mari qui a conçu la maison, sur laquelle il y a même un livre. Malheureusement je ne peux pas entrer, car il n'est pas là, mais elle me laisse une carte : je pourrais appeler et revenir une autre fois.
Je passe ensuite devant une grande église, St Clément d'Ohrid, plus belle à l'extérieur qu'à l'intérieur, où elle est très sombre et froide.
En cherchant un endroit à manger avant de retrouver Vlatko, voici qu'apparaît le drapeau français, qui comme l'écrit François Maspéro dans Balkans-Transit, "flotte (ou pend) [...] dans une de ces allées entre ces barres" (page 271).
Je relis ce livre au fur et à mesure de mes voyages, car son récit prend beaucoup plus de sens en étant sur place. J'ai justement relu ce passage ce matin : Maspéro raconte son arrivée à Skopje et la soirée qu'il passe au centre culturel français. Je rentre dans le centre et demande à la jeune femme à l'accueil si elle savait qu'ils étaient dans ce livre. Elle me pose des questions, veut commander le livre et va le montrer à l'attaché culturel, Branco Cobanov. Ce monsieur connaît bien le livre, et pour cause : il était présent lors de cette soirée dont parle Maspéro ! Il me parle de lui, de Klavdij Sluban, le photographe avec qui il voyage, de l'interview à la télévision qui a suivi la soirée et que Maspéro évoque seulement... Quelle chance, cette rencontre ! J'ai un rêve, ce serait de pouvoir parler avec François Maspéro lui-même, à mon retour en France... J'ai relu quelques passages de Balkans-Transit. A plusieurs reprises, il décrit parfaitement des choses que j'ai ressenti cette année, au point que ça me choque.
"Je pratiquais l'errance et les rencontres de hasard. Touriste, peut-être, même si je récusais instinctivement le mot, mais alors dans la solitude du touriste de fond."
Jusqu'au mot "instinctivement", tout me semble juste. Ca me rappelle mes dilemmes en Cappadoce (voir
l'article du blog sur ce voyage en Turquie). Je partage aussi ses idées d'Europe (pages 14-15), sa conception du voyage :
"[...] ce serait une balade nez en l'air, pas une enquête, sans la prétention de tout voir, de tout expliquer... N'être que ce que je suis et rien d'autre. Spécialiste de rien, mais pas non plus touriste innocent."
""Qu'est-ce que vous cherchez, exactement ? Vous avez bien une idée derrière la tête ?" A ces questions-là, je n'ai toujours pas de réponse prête. D'ailleurs, si j'en avais une, je crois que je cesserai de voyager."
"La plus belle récompense d'un voyage extraordinaire est bien de rencontrer des gens ordinaires, disons comme vous et moi. Des gens qui ont traversé comme ils l'ont pu, sans faire d'histoires et sans faire forcément l'histoire, des événements pas ordinaires. Qui nous rappellent que ces événements-là auraient pu aussi bien nous arriver à nous, en leur lieu et place. Et vraiment, avant toute chose, on ferait bien de se demander ce qu'on aurait fait en leur lieu et place. Le sentiment de se retrouver partout au milieu de la grande famille de l'espèce humaine n'a pas de prix -ne serait-ce que parce qu'il confirme que celle-ci existe. Ce n'est pas toujours évident.
C'est peut-être cela, le pari du voyage : au-delà de tous les dépaysements, des émerveillements ou des angoisses de l'inconnu, au-delà de toutes les différences, retrouver soudain chez certains le sentiment d'être de la même famille. D'être les uns et les autres des êtres humains. Parfois, ça rate. Parfois même, ça tourne mal. Mais le pari vaut d'être fait, non ?"
A ceux qui n'en sont pas convaincus, la meilleure preuve est de se lancer.
Après le voyage de Maspéro, retour au mien à Skopje. Je retrouve Vlatko sur la grande place. Le plan est de monter sur la montagne qui domine la ville, jusqu'à l'immense croix plantée tout en haut. Un taxi nous aide à faire un bout de route, puis on prend un petit chemin, très pentu, au milieu des arbres. Les vues sont de plus en plus impressionantes.
Skopje
Presque là-haut
La Macédoine : le soleil, le drapeau, et cette croix symbolique de Skopje
Pour avoir une idée de l'échelle, Vlatko est en bas.
La croix est immense et couverte d'ampoules : elle s'illumine chaque nuit et est visible de tout Skopje.
La redescente est bien plus rapide : on court comme des dératés (j'aime bien ce mot, "dératé" ; de "rat" ou de "raté" ? Je viens de trouver : de "
rate"). Le temps de repasser chez les volontaires pour prendre mes sacs, je suis déjà la gare pour le bus qui m'amène à Ohrid.
J'y retrouve Asen, le seul
Couchsurfer d'Ohrid. Ce n'est pas très rentable d'être Couchsurfer dans cette ville où tous les habitants semblent avoir des chambres à louer pour les touristes de passage. Ohrid est connue dans tous les Balkans pour son magnifique lac.
Pas de place chez lui, mais une amie à lui, Klimentina, a une chambre où je peux rester. Vendredi soir : les bars d'Ohrid sont bondés, bien que la saison touristique n'ait pas vraiment commencé. Beaucoup de minettes apprêtés et d'armoires à glace -gel, chaîne, et chemise ouverte, la totale : pas tellement mon genre d'ambiance. Mais la musique est pas mal : le groupe joue même "
Makedonsko devojtché", un chant traditionnel macédonien que j'aime beaucoup.
Le lendemain, malgré la pluie et mes chaussures toujours pas très étanches, je pars voir enfin ce lac d'Ohrid. Je me rappelle que Fred nous avait raconté avoir rencontré quelqu'un qui voyageait dans toute l'Europe et qu'il lui avait demandé quel était l'endroit qu'il avait le plus aimé. Il avait répondu : le lac d'Ohrid. François Maspéro en parle dans Balkans-Transit : "[...] Ohrid la merveilleuse, les eaux de son lac couleur lapis-lazuli". De quoi donner envie.
Les gouttes d'eau qui tombent sur les gouttières créent des rythmes agréables à entendre.
Le boulevard principal à Ohrid : boulevard Turisticka !
Enfin le lac ! Immense, entouré de montagnes. De l'autre côté, c'est l'Albanie.
La vieille ville d'Ohrid, sur la colline, me rappelle la Macédoine bulgare et les maisons de Melnik et Sandanski (voir
Sandanski sans dents de ski). Les ruelles sont très jolies.
Je croise un vieux monsieur à vélo qui me conseille d'aller sur une passerelle qui longe le lac. Là, on peut y faire un voeu en touchant la plaque de son signe astrologique. J'ai souhaité du beau temps le lendemain... ça a marché ! (trop bien disent mes bras et mes épaules - rouges)
Après la passerelle, c'est le quartier très calme des pêcheurs.
Mariage dans "l'église la plus jolie du monde" (dit Slav, voire plus loin)
Les bois sont parfumés d'odeurs de fleurs et d'herbe mouillée.
Du haut de la forteresse de Samuil
En visitant la forteresse sur la colline qui domine Ohrid, j'entends des touristes bulgares. Le macédonien a beau être proche du bulgare, ça me fait plaisir d'entendre à nouveau cette langue ! J'ai le sentiment de faire partie un peu de la communauté des Bulgares, même si ce n'est pas vraiment vrai.
En me promenant dans les rues, je recroise le vieux monsieur à vélo, Ilia. On discute un peu et il m'invite à prendre le café chez lui. Sa femme, Meria, s'apprête à partir, mais restera finalement une heure à discuter avec nous. Leur hospitalité est merveilleuse. C'est la tradition : tous les invités doivent prendre avec leurs hôtes un petit verre de rakia maison ! (Au passage pour les lecteurs voyageurs, ils louent une chambre avec vue sur le lac et j'ai leur coordonnées : contactez moi pour que je vous les donne).
Ilia et Meria
Séance photo pour les invités au mariage (celui de la jolie petite église sur la colline)
En bateau sur le lac
La vieille ville d'Ohrid
Tout d'un coup il se met à pleuvoir des cordes...
... je monte dans cet arbre m'abriter de la pluie (et puis juste pour monter dans cet arbre, sans raison).
Tout l'arbre, sauf les racines, est complètement au-dessus de l'eau. La pluie tombe tout autour mais j'ai l'impression d'être dans une bulle. D'autant plus que les enfants qui jouent au basket à côté n'ont aucune idée que je suis là, à cause du feuillage. La redescente semble plus difficile que la montée par contre. Mais ce serait ridicule de rester coincée là. Je me rends compte que je me mets toujours dans ce genre de situations... Mais finalement je retrouve la terre ni mouillée ni ridicule !
La soirée de samedi est beaucoup plus tranquille que celle de la veille... Le lendemain, merci à la piecette lancée de la passerelle, il fait beau. Je pars marcher autour du lac et me mets à chanter "Makedonsko devojtché", à l'apprendre. Ca fait d'ailleurs longtemps que je ne chantais plus beaucoup et ça me manquait. Peu à peu, moins de restaurants et de cafés. Les roseaux envahissent les berges.
Je m'arrête sur une petite plage, en compagnie de quelques pêcheurs, pour jouer du kaval et recopier quelques airs macédoniens du livre que je veux offrir à Rebekka. Un vieux monsieur, Vania (surnommé Vane) reconnaît "Makedonsko devojtché" et vient discuter un moment. Il m'écrit "Biljana platno beleshe", m'explique l'histoire, puis chante ; je l'enregistre. Un petit garçon (peut-être huit ans), Naum, est très intéressé : il reste à côté de nous mais n'ose rien dire. On lui demande de chanter aussi, sa grand-mère, Mareto, l'encourage, et il accepte et choisit "
Jovano Jovanke". Rien que pour ce moment, au bord de l'eau à écouter Vane et Naum chanter, le voyage valait le coup d'être fait.
Vane
Naum et sa grand-père, Mareta
Je retrouve Asen pour déjeuner, puis repars dans la ville. Je m'installe dans une barque sur la rive. J'entends tout d'un coup un "bonjour mademoiselle !" qui vient du lac. C'est un "conducteur de barque" que je n'arrête pas de croiser depuis hier qui passe sur le lac avec trois petits clients du Kosovo, qui me crient des "hello, hello !".
"- Vous voulez nous rejoindre ?
- J'ai déjà un bateau !" Ma barque échouée...
Sur la colline en face, un musicien joue de la batterie ! Il semble que ce soit pour un clip.
J'écris là quelques notes sur mon carnet de voyage, quand un homme, grand et très mince, les cheveux complètement en désordre, vient me demander si je suis écrivain. J'explique que non et on fait connaissance : il s'appelle Slav et est philosophe. Sur la page où j'écris est notée la chanson macédonienne "
Eleno Kerko", qui dit "chère Eléna, à quoi tu penses, qu'est-ce que tu écris". On va faire un tour dans la ville.
Slav est philosophe chrétien. Il s'intéresse beaucoup aux langues, aux liens entre les mots. Il me parle longtemps par exemple du rapport entre le "lac", la "lumière", "le regard", entre le monde et le mouvement, qui dans beaucoup de langues sont très proches : lake/look, See/sehen, свет/светлина, world/whirl, Welt/Welle...
Le soleil sur le lac me rappelle les éclats de pierres précieuses.
On visite quelques sites, Slav m'explique le sens des symboles, replace les ruines dans leur contexte historique... Ohrid était une très grande capitale religieuse au Moyen-Age, c'est intéressant de la visiter avec un croyant.
Puis je retourne à la gare pour prendre un bus pour Sofia. Avec les voyageurs attendent beaucoup d'habitants d'Ohrid qui cherchent à louer des chambres. Je discute avec certains d'entre eux, dont une femme qui vient ici plusieurs heures chaque jour après son travail, pour arrondir un peu les difficiles fins de mois. Elle me parle de la gentillesse de Japonais qu'elle a accueillis, mais aussi de l'arrogance de certains Français. Mais j'ai arrêté de croire que le fait de partager la même carte d'identité avec eux me donne une quelconque responsabilité par rapport à leur attitude. En tout cas, si vous cherchez des adresses à Ohrid, n'hésitez pas à me demander leurs coordonnées !
Je quitte Ohrid et la Macédoine heureuse, traversant des paysages de montagnes et de villages à l'heure où le soleil se couche, repensant à toutes les rencontres de ces quelques jours qui rendent les voyages précieux... Comme l'écrit Maspéro :
"La plus belle récompense d'un voyage extraordinaire est bien de rencontrer des gens ordinaires, disons comme vous et moi."