samedi 3 avril 2010

Voyage turco-chyprio-libanais, 1e partie : Turquie et Chypre

Le virus m'a repris... Il faut croire que ça ne me lâchera pas : j'ai la bougeotte !

Tout commença il y a quelques semaines, par une proposition de Coline, mon amie de... D'où ? Londres, Damas, Paris ? Un peu des trois, et même de la Bretagne aussi quelque part... Elle allait passer un mois au Liban et me proposait de la rejoindre, elle et un copain syrien, Aboudé, que j'avais rencontré lors du voyage en Syrie il y a deux ans. Au départ, l'idée de partir si loin me semblait folle car je voulais d'abord voyager dans les Balkans, et en priorité en Roumanie et en Macédoine. Mais pour m'amuser et rêver un peu, j'ai commencé à regarder des cartes de la Turquie, à imaginer passer par Chypre pour rejoindre le Liban. C'était déjà trop tard, je ne pouvais plus reculer, il fallait partir ! Déjà les souvenirs d'Istanbul, des cafés turcs, des bazars, des muezzins, des paysages et des rencontres en Syrie, de la musique m'appelaient...

Un peu plus de deux semaines, un point de départ, Istanbul, un point d'arrivée, Beirut, et entre les deux : totale liberté ! Bien sûr, aucune ambition de "faire" la Turquie, Chypre et le Liban. Un an est même court pour découvrir un pays aussi petit que la Bulgarie. Je prends ce voyage comme un introduction à ces pays, la recherche du passage des cultures des Balkans à celles du Proche-Orient.

Voilà ce que ça a donné : en rouge, les trajets en bus et en bateau, en violet ceux en avion (que j'aurais bien évité mais pour des raisons de temps, c'était impossible) et soulignées les villes dans lesquelles je me suis arrêtée.


Pour des raisons de temps et d'accès à Internet, je suis revenue aux bons vieux carnets de voyage. En voici donc quelques extraits.

Vendredi 12 mars : Sofia-Istanbul


Jour J, H-22 minutes : le grand voyage commence, ici, à Sofia ! Peut-être la dernière fois que je vois de la neige ici ? Ca fait longtemps que je n'ai pas été si excitée et impatiente, depuis ce matin où j'ai ouvert les yeux bien trop tôt, puis toute la journée. C'est ce que j'aime dans les voyages, je me sens plus vivante que jamais ! Prête à tout et surtout à une bonne dose du meilleur ! A l'aube de belles rencontres, j'en suis sûre, et de belles retrouvailles.

On dirait que les flocons s'élancent sur nous - hé, on est du bon côté de la fenêtre ! Déjà du turc dans le car... On dirait que la neige pleure pour nos adieux.

Samedi 13 mars, 5h30, arrivée à Istanbul.


Pas beaucoup dormi cette nuit, mais je préfère me lancer dans les rues de la ville. Rien que quand le car cherchait sa place dans la gare, ça nous a bien pris cinq minutes. C'est à l'image de l'immensité d'Istanbul. Je ne sais pas très bien où aller et erre dans les rues.








La lumière du matin est très belle. Je retrouve des lieux connus, sur le port de Sultanahmet.



A l'horizon, on dirait une armée de bateaux.

Longue marche dans Istanbul, du grand bazar au bord de la mer, puis au parc de Gülhane (pour une air de kaval devant le garde du palais Topkapi), au port d'Eminönü, de l'autre côté à Karaköy, à la tour Galata, dans la grande rue Istiklâl, et enfin à Taksim, où je retrouve avec plaisir Gizem. Retour en terre connue pour un début de voyage tout en douceur.


Déjeuner turc, le temps de se donner les nouvelles des six derniers mois. Le temps de voir passer deux manifs dans la rue (contre une fermeture d'usine puis contre la pollution), le temps que la rue se remplisse de passants et que plusieurs heures s'écoulent sans qu'on les voie.



Au menu, "mercimek çorbasi" (soupe), "pilav" (riz) et "kuru fasilye" (mélange de haricots). Gizem m'emmène en füniküker / funiculaire près du Bosphore. Il fait beau, la vue est magnifique, le vent est revivifiant, et je ne sais pas où est passée ma fatigue. A "kahve dünyasi", le monde du café, je retrouve le café turc ! Cet endroit, une chaîne en Turquie, est le paradis des amateurs de café et de chocolats.

Un bateau nous emmène de la rive européenne à la rive asiatique. Ca doit être une des raisons que j'arrive à cerner de mon amour pour Istanbul.



Le port de l'autre côté est agréable, avec ses petites rues et restos de poissons. Le voyage en bus pour aller chez Gizem est (très) long. On peut facilement voyager des heures simplement à l'intérieur d'Istanbul. C'est un petit pays.


L'accueil chez Gizem est fantastique. C'est la première fois qu'elle reçoit quelqu'un de l'étranger et c'est un événement, au point que même son père, Farouk, oublie que c'est son anniversaire. Impossible d'aider à faire quoi que ce soit dans la maison. Découvertes d'autres plats : "soslu" (biftek et sauce), "bulgur pilavi" (boulgour d'Adana, d'où Farouk vient), "borbunya" (plat aux haricots), "baklava" (sucreries trempées dans de l'huile et du sucre), et j'en passe. Et bien sur l'éternelle "çay", le thé. Gizem m'apprend à faire du café turc (c'est différent des versions syrienne et bulgare). Comme tout Turc qui se respecte, Farouk en boit environ 15 tasses par jour. Pour le petit-dèj, le défilé de spécialités continue : "gözleme" (crêpes turques - rien à voir avec les bretonnes), fromages, confitures...


Départ pour Ankara, qui n'aurait pas pu être plus facile, car le père de Gizem m'aide à acheter le ticket et me met dans un minibus direct pour la gare ! Drôle d'histoire dans le bus : ma place est près d'une fenêtre, à côté d'un vieux monsieur. On me propose à deux ou trois reprises de m'assoir plus loin, mais je tiens à cette fenêtre et ne comprends pas très bien ce qui se passe car je suis au numéro indiqué sur mon billet. De grandes discussions ont lieu autour de moi, mais je ne comprends rien. Puis enfin quelqu'un m'explique en anglais : il y a écrit "bay" au lieu de "bayan" sur mon billet, c'est-à-dire "monsieur" au lieu de "madame", et en Turquie on ne place pas les femmes à côté d'hommes dans les bus, comme je le remarque ensuite. Pas de problème pour moi, donc je peux rester là. Mon voisin est d'ailleurs très gentil et à défaut de langue, on communique par échange de petits gâteaux.



Dimanche 14 mars - mardi 16 mars : Ankara

A part dans les villes où je retrouve des amis et deux nuits que je passe dans des auberges de jeunesse, je vais de Couchsurfer en Couchsurfer, à Ankara, Konya, Girne et Nicosie. Couchsurfing est un réseau reliant une communauté de voyageurs et les mettant en contact. A la base, l'idée est d'offrir aux voyageurs un canapé où ils pourront dormir. Mais Couchsurfing est bien plus qu'une opportunité de lit gratuit. C'est un échange d'hospitalité, de confiance et de générosité entre tous ceux qui ont envie de s'ouvrir à d'autres cultures. Pour plus d'infos, allez voir le site internet http://www.couchsurfing.org/.


Can (prononcer [djane]), le Couchsurfer qui m'accueille à Ankara, est très impliqué dans le réseau. Passionné par les langue et culture grecques, il envisage un petit projet : rassembler des Couchsurfers turcs et grecs pour assister ensemble au match de foot qui opposera la Grèce et la Turquie, pour promouvoir l'amitié turco-grecque.

Comme à Istanbul, l'accueil est incroyable pendant ces deux jours à Ankara. Il cuisine des petits plats turcs, m'emmène en voiture faire du sight-seeing dans la ville (beaucoup de grands bâtiments, d'ambassades, de ministères, de zones militaires, mais aussi un vieux centre historique et des rues piétonnes animées même la nuit), me fait découvrir la vie nocturne d'Ankara. On retrouve un de ses copains qui vend dans la rue des moules remplies de riz : c'est très populaire en Turquie (midie dolmus).

Premières impressions de la ville de jour le lendemain, sous forme d'un arbre en fleurs auquel j'accroche ma première martenitsa (je les sèmerai au fur et à mesure dans les différents pays parcourus), puis du marché de Cankaya, avec toutes ses couleurs flashy, entre les pinces à linge, les vêtements, les pots de toute sorte.


Direction "Anitkabir", le mausolée d'Atatürk. J'enregistre quelques sons en route, de vendeurs de "simit" (des pains briochés en forme de couronne), de la circulation, des klaxons. A la station de Tandogan, juste avant le mausolée, je suis surprise du nombres de magasins vendant des uniformes militaires dans le passage souterrain (même pour les enfants). Le culte des militaires semble presque atteindre celui d'Atatürk.



Avant d'atteindre le mausolée, il faut d'abord traverser le long jardin de la paix, où sont plantés des arbres de tous les pays, pour illustrer la phrase d'Atatürk : "paix dans le jardin [ou "maison" ou "pays" selon les traductions], paix dans le monde". Puis de grandes marches conduisent à une longue allée encadrée de statues de lions.


Partout, des militaires. Ils marchent en levant leurs jambes à 90°.


Je ne comprends pas pourquoi les militaires font ça partout. Personnellement, je trouve ça ridicule, ça me rappelle John Cleese et le ministère des marches idiotes. Le mausolée, orné de discours en lettres d'or et de magnifiques tapis, est à la hauteur de l'image d'Atatürk dans le pays : c'est le héros national.




Bien qu'il ait pu être un despote éclairé, il faut dire qu'il mérite son nom de "père des Turcs" (c'est le sens d'Atatürk) : il est à l'origine de l'indépendance de la Turquie (occupée après la première Guerre Mondiale), de la réforme de la langue et de l'alphabet, de l'augmentation massive de l'alphabétisation, du droit de vote des femmes, de réformes du système judiciaire, de la séparation entre l'Eglise et l'Etat... Beaucoup pour un seul homme !

Direction "Ulus" et le centre historique. Le Gençlik Parki donne une bouffée d'air frais à la ville. Le soleil vient de sortir, ce matin tout était gris et pluvieux, et ça change tout.



Les rues sont animées de vendeurs, de passants, de voitures à toute allure, et ça me plaît beaucoup plus que les monuments.



Au marché Yeni Hallar, je suis impressionnée par les marchands de poissons qui vocifèrent plus fort les uns que les autres.


En haut de la citadelle, la vue sur Ankara est superbe. Bizarrement, le quartier autour de ces bâtiments très anciens est habité par les plus pauvres habitants de la ville. Les maisons tombent en ruine, mais derrière leur façades à l'abandon, on voit de très vieilles portes et décorations : elles mériteraient d'être restaurées.



Beaucoup d'enfants jouent dans les rues.


Aaah !

De retour en bas, après le Vakif Sultan Carsisi, un ancien "han" (caravane-sérail) reconverti en marché de fleurs, bijoux et vêtements, je finis par trouver le "Akman Boza ve Pasta Salonu", le seul endroit que j'ai vu où trouver de la "boza".


Cette boisson existe aussi en Bulgarie, où jusqu'ici je n'ai rencontré que des Bulgares pour l'aimer. Je suis intriguée par la description du "Rough Guide" sur la Turquie : "une boisson rafraîchissante à base de mil". Si c'était la même chose, il y aurait au moins une petite phrase de prévention ! Effectivement, ce n'est pas la même chose, et comme pour l'ayran ou le café, je préfère largement la boza turque à celle bulgare ! Le goût est plus alcoolisé, mais aussi plus doux et sucré, comme une crème. Pendant ce temps, mes voisines se lisent l'avenir dans le marc de café.

Ankara, où de vieilles mosquées cohabitent avec des immeubles modernes

Retour chez Can pour cette deuxième et déjà dernière soirée à Ankara. Il a préparé un repas turc (encore !): soupe, sarma (comme en Bulgarie, un mélange de riz entouré dans des feuilles de vigne ou de chou) et yahourt, manti kayseri (des morceaux de viandes entourés de farine, comme des raviolis), légumes aigres (comme en Syrie), sumac (une épice rouge assez douce)...


A défaut de pouvoir monter dans l'Atakule, la tour qui domine Ankara, on va voir "Precious" au cinéma (en Turquie, il y a une entracte au milieu du film ! Et à nouveau des pubs et des bandes-annonces. Déjà que j'ai du mal à sortir d'un film à la fin, alors au beau milieu, je trouve ça horrible). C'est un beau film.

On tombe ensuite sur un concert dans un bar. Une musicienne enregistre des sons qu'elle produit avec sa bouche, ses pieds, ou à la guitare, et construit progressivement ses chansons comme s'il y avait tout un groupe avec elle (technique du "loop") : elle s'appelle Belgin Uğursu, et c'est pas mal !

En Turquie, l'équivalent des McDos de fin de soirée qui étaient systématiques à Remscheid sont les kokoreç, des sandwichs aux intestins d'agneaux si j'ai bien compris. Il y a un endroit dans la ville ouvert toute la nuit (que je n'aurais jamais pu découvrir sans être avec un Turc à Ankara !) qui en vend, ainsi que les döner, köfte et kebab plus connus en Europe de l'Ouest. La façon de faire des kokoreç est très intéressante, et menacée par la législation de l'Union européenne. Une table et une sorte de fourneau sont dehors, devant l'échoppe.

La table aux kokoreç

Pendant que le pain chauffe, le coupeur de kokoreç met en morceaux des bouts de viande sur une planche en bois. Le drôle dans l'affaire, c'est qu'avec ses deux couteaux de bouchers, il crée une musique ! Une vidéo parlera (chantera ?) plus.

Départ le lendemain matin assez tôt pour la Cappodoce, dont on m'a tant parlé.



Mardi 16 mars - mercredi 17 mars : Göreme et la Cappadoce


La Cappadoce est l'un des lieux qui me marquera le plus dans ce voyage. C'est sûrement l'un des plus beaux endroits que j'ai jamais vu. Le monde des Pierrafeu, de Star Wars et de nombreux livres de science fiction à la fois. Très impressionant !





Je m'installe au Nomad Hotel, dont les chambres et dortoirs sont en fait des grottes vieilles de plusieurs siècles (voire millénaires ?). Accueil chaleureux et thé à la pomme, avant de repartir.

 



Direction le musée en plein-air de Göreme, que je n'aurais finalement jamais atteint. Devant le site, un peu en dehors de Göreme, une série de cars s'alignent devant de nombreux petits magasins de souvenirs en tout genre pour touristes. Je n'avancerai pas plus loin que là : un vendeur m'arrête, très sympa, et on commence à discuter. D'après lui, comme je n'ai que deux heures avant la fermeture, mieux vaut me ballader dans la vallée Rose avant le coucher du soleil et revenir le lendemain pour le musée.



Je n'en crois pas mes yeux et je n'ai pas de mots pour dire à quel point. Je n'arrête pas de prendre des photos, surtout que la lumière de cette fin d'après-midi crée de très belles couleurs et que le ciel se dégage peu à peu.


De grandes cheminées, des tours, des meringues, des nuages de rochers. Les arbres sont tous en fleurs, blanches ou violettes. Je laisse une martenitsa en haut d'un des rochers, sur un arbre téméraire qui a décidé de pousser là.


Je marche et grimpe partout où je peux. Absolument ébahie. J'en oublie que je suis en Turquie, peut-être parce que ce n'est pas un patrimoine turc, mais de l'humanité. Je m'étonne d'être moi là ici.











Je suis peut-être dans la vallé des épées (on dirait un conte !) ou Kizriçukur, la vallée rouge, quand un homme à mobylette m'appelle d'en bas pour me dire que je ne suis pas dans la bonne direction et que je vais être coincée, qu'il faut que je fasse marche arrière. Mais là où je vais a l'air beau et l'ombre a déjà gagné la vallée, et je n'aime pas revenir sur mes pas.


C'est beau et ensoleillé, mais effectivement bloqué. Je me rappelle Paddy, qui disait à propos de l'auto-stop qu'il ne faut pas croire les gens qui vous disent que quelque chose est impossible, car c'est souvent faux. Un petit chemin a l'air de descendre vers la vallée, je m'y engage. Il est à pic et la terre est très sableuse. Je réfléchis sur mon sort quelque temps devant un passage juste un peu trop large pour passer mon pied de l'autre côté, quand l'homme à mobylette repasse et me voit là. Peut-être que ça m'a permis d'être sauvée par mon orgueil ! Et au moins si je tombe, il y a quelqu'un pour me voir. N'ayant pas envie de m'admettre défaite, je me lance de l'autre côté, en espérant seulement que les broussailles seront assez stables pour supporter mon poids. Seconde décisive : ça passe. En arrivant en bas, je suis très heureuse, mais toujours tremblante !


L'endroit fatidique !

Après ces émotions, je me dirige vers la vallée Rose, Gülludere.


Je tombe sur une première église, taillée dans la roche au milieu de nulle part. Il y a des fresques, qui datent peut-être du Moyen-Age.



Le ciel est désormais totalement bleu et l'ensemble des couleurs magnifique.


Même si je suis toute seule, je ne peux pas m'empêcher très souvent de pousser des "wow" devant les paysages qui apparaissent au détour du chemin.



Nouvelle frayeur en escaladant une église creusée dans la montagne : ça va suffire pour aujourd'hui je pense.


 




Puis une vue que je voudrais graver dans ma mémoire  une forêt de roches, immenses et très nombreux, roses et directement éclairés par le soleil.



Je suis heureuse d'avoir vu ça au moins une fois dans ma vie. Je me sens submergée par le paysage.










Retour sur le chemin ; bien que la nuit dernière ait été très courte, les environs me donnent toute l'énergie qu'il faut pour continuer.


En arrivant au village de Cavusin, c'est là que je me rends compte que j'avais oublié que j'étais en Turquie, car je m'étonne de voir des tombes musulmanes dans le cimetierre, attendant peut-être les tombes chrétiennes que je vois d'habitude en Bulgarie !


(hommage sans prétention à Bruno Dieudonné)

La lumière faiblit et la vue est superbe. A part un car de vieux Allemands et des vendeurs "au taquet" ("Hallo", "bitte schön", "hello", "how are you ?", "bonjour", "comment ça va ?"), le village a l'air quasi désert. Dernière ascension sur la colline de roches qui domine le village.


Un beau panorama pour finir la journée.



Encore six kilomètres pour retourner à Göreme, mais plats cette fois. Deux petits chiens m'accompagnent tout du long, ils tournent autour de moi comme s'ils dansaient : je me sens vraiment vagabonde, errant paisiblement sur des routes inconnues.



Je ne sais pas du tout quoi faire pour le lendemain et commence à me prendre la tête sur le temps et surtout l'argent, d'autant plus que je suis fatiguée. Tant qu'il fait jour, la région de Göreme est magnifique, mais je n'ai pas envie de passer trop de soirées seule à m'ennuyer dans ce village touristique. La nuit porte conseil...

Le lendemain, le plan au matin est de visiter le musée en plein-air de Göreme puis de partir dans la vallée de l'Ihlara et peut-être dormir à Konya le soir.


Cette fois, j'avance un peu plus loin entre les magasins (en promettant un thé plus tard !), mais n'arrive toujours pas à l'entrée. Un vendeur, très sympa aussi, finit par me convaincre que mon plan est galère et cher et me conseille de partir en minibus faire un tour de la Cappadoce en rentrant à Göreme. L'heure tourne et il faut que je me décide. Je me sens complètement divisée, car je pense de plus en plus que ces conseils sont justes au niveau de l'argent. Mais je n'ai pas du tout envie de faire partie d'un groupe de touristes. D'un autre côté, les cars ont déjà envahi le musée en plein-air de Göreme...


Je décide de partir pour ce tour.



Le minibus arrive, il y a trois Japonais, deux Thaïlandais, sept Canadiens, Anglais, Américains, et notre guide. Tous jeunes. Au départ, je me sens mal dans le groupe, tout le monde prend les mêmes photos, est bruyant. Je me demande pourquoi je n'aime pas les touristes, car c'est quelque chose de plus émotionnel que de réfléchi. Je me demande aussi quelle est la différence entre un touriste et un voyageur. Peut-être la durée du séjour, mais aussi le regard, l'envie de ne pas aller dans les endroits "à voir" mais de s'intégrer au paysage et à la population. Je suis sans doute tout autant touriste que voyageuse, mais une touriste très mal assumée. Le groupe s'est révélé très sympa ! Tous voyageaient soit seuls, soit en couples, la plupart à travers le monde ou l'Europe.


De nouveaux minarets en Turquie depuis que les appels à la prière sont enregistrés et que le muezzin n'a plus à monter sur une plate-forme en haut du minaret pour chanter.

On est d'abord allé à Derinkuyu, pour visiter une cité souterraine, de l'époque des Hittites (-1900, -1200). 8 étages et jusqu'à 55 mètres de profondeur ! La cité servait de défense contre les attaques et de stockage de fruits et d'animaux.


Türkiye


Plus loin, Ihlara, un petit village au bout de la vallée qui porte son nom. On dirait que la plaine s'est ouverte en deux et a formé des gorges dignes des images qu'on voit du Grand Canyon aux Etats-Unis.


Il y a 365 églises médiévales sur ces dix kilomètres de vallée : une par jour. On en visite deux, couvertes de fresques.


Les paysages sont magnifiques et rivalisent de beauté avec ceux de la vallée Rose.


Le guide nous a promis du pain et un oignon à midi : le repas, au bord de la rivière à Belisirma, est royal ! On s'arrête ensuite à Yaprakhisar, renommé "la vallée de Star Wars" (c'est Jul qui aurait été content de voir ça), qui marque le début de la vallée d'Ihlara.


Encore une fois, ces immenses falaises dans lesquelles des grottes, églises, maisons ont été taillées sont très impressionantes.  Puis on escalade les roches du village troglodyte de Selime. A l'intérieur d'entrées typiques de grottes, des églises qui n'ont rien à envier avec celles qu'on connaît, les mêmes étages, colonnes, escaliers, décorations... Irréel.



Sur la route du retour, arrêt devant la vallée des pigeons, vers Üçisar. Les pigeons voyageurs vivaient là du temps où on les utilisait encore, dans des petites niches dans la falaise.



Dernière visite dans une usine de pierre. On observe la taille et le ponçage d'un morceau d'onyx, offerte au plus rapide qui a su dire ce que signifiait le nom "Cappadoce" : le pays des beaux chevaux !



J'apprends d'ailleurs que la "turquoise" vient de "Turquie", même si on la trouve aussi ailleurs. Les vendeurs de pierre sont absolument aux petits soins pour nous (une suit chacun de mes pas), même si ces bijoux sont absolument hors de nos budgets à tous.

En quittant la Cappadoce pour aller à Konya, j'ai encore du mal à croire qu'il y a des gens pour lesquels ce paysage est celui de leur vie quotidienne et que ce n'est pas un endroit totalement irréel.



Mercredi 16 mars - samedi 20 mars : Konya



Rencontre dans le bus avec une famille turque : le père a vécu en Allemagne à Wuppertal, une ville voisine de Remscheid, elle-même jumelée à Quimper.
Mehmet, le Couchsurfer qui m'accueille (très gentimment, car l'autre qui m'avait dit oui ne m'a jamais donné ni son numéro ni son adresse) vient me chercher à la gare avec Hayri. La communication en anglais est parfois un peu difficile mais on se comprend. Hayri s'exprime par Google Traduction ! J'habite pour quelques jours dans une collocation de quatre étudiants en architecture, près de la fac.

Alperen, Mehmet, Emre et Hayri

L'accueil est encore une fois digne de la réputation des Turcs. Le petit déjeuner a des airs de déjeuner, avec ses oeufs, olives, salades...
Mehmet m'accompagne visiter Konya.Cette ville est connue en Turquie pour son conservatisme religieux. Effectivement, je remarque beaucoup de femmes voilées et d'hommes coiffés de chapeaux musulmans.


Les manteaux tombent tous jusqu'aux chevilles.

Panorama du haut d'une grande tour (à croire que toutes les villes turques en ont).


Mehmet

On rejoint ensuite le centre, autour du parc Alâeddin, et on visite le Ince Minare Medresi, qui rassemble des céramiques, reliefs, sculptures sur bois.





Konya est la capitale des derviches, car c'est là qu'a vécu le penseur de ce courant, Mevlâna. Une vraie star ici, et ce que j'ai découvert sur lui ici, sur sa vie et surtout sur son enseignement m'a donné envie d'en apprendre plus. On visite le musée qui lui est consacré, dans le lieu où il a vécu au XIIIe siècle.



Je ne m'attendais pas à une telle foule se pressant à l'entrée, de tous les côtés. Mevlâna s'appelle en fait Celaeddin Rumi. Il n'est pas seulement un penseur religieux, mais aussi un philosophe et un poète. Il prônait la tolérance, la monogamie, la rechercher de la vérité et de la beauté, l'union avec Dieu par la danse ("sema"). Cette maison est un centre de pélerinage important pour la communauté musulmane, car Mevlâna y est enterré. Elle est très belle, décorée de citations (en écriture arabe, puisqu'il vivait bien avant les réformes d'Atatürk), de tapis, de Coran de toutes tailles (de ceux qui rentrent dans un pendentifs à ceux qui font plus d'un mètre de long), de tapis tissés de fils d'or et d'autres objets offerts. En fond passent des morceaux de ney, l'instrument phare des derviches, considéré comme le plus proche de la voix humaine.

A la sortie, un marchand de tapis discute avec nous et nous offre d'aller boire un thé dans son magasin. L'idée n'est pas de vendre ses marchandises, mais de parler seulement. Il est très honnête : si je suis bien accueillie en Turquie, je dirai à mes amis en France d'y aller aussi. Mais intéréssée ou pas, la générosité que je rencontre ici est admirable. J'aimerais que les Européens de l'Ouest le soient autant. Bizarrement cependant, il craint que l'entrée dans l'Union européenne ne freine les touristes (qui pourtant n'auraient même plus besoin de passeport pour venir), car l'UE uniformiserait le mode de vie turque à l'européenne et ferait perdre au pays cet exotisme qui attire les étrangers. Sur la question du tourisme, je ne suis pas d'accord avec lui. Après, c'est difficile de discuter en l'air des conséquences d'une accession à l'UE qui n'a pas (encore ?) eu lieu. Même quand elle a eu lieu, comme en Bulgarie il y a trois ans, c'est aussi difficile pour les gens de dire ce qui a changé pour eux.

Mehmet et moi avons rendez-vous avec un autre Couchsurfer, Bilal. Il rentre d'un Service Volontaire Européen en Pologne, qu'il a fait dans un centre de jeunes dans une petite ville. On explique à Mehmet le fonctionnement du programme pour l'encourager à lui aussi devenir volontaire, et alors qu'on parle des différentes possibilités de volontariats, Bilal cite "un super projet : c'est un festival de musique des Balkans". Oui, c'est celui pour lequel je suis volontaire ! On se rend compte alors qu'il connaît les quatre Polonaises, Anna, Kasia, Gosia et Paulina, qui étaient aussi volontaires un mois pour le festival. Incroyable : au beau milieu de la Turquie, je rencontre quelqu'un avec qui j'ai des amis communs !

Bilal, moi et Mehmet

Mehmet et Bilal me font goûter une spécialité de Konya : l'etliekmek, un très long morceau de pain grillé sur lequel est étalé un mélange de viande d'agneau et d'épices. Accompagné d'ayran bien sûr, ce mélange de yahourt, d'eau et de sel qu'on a aussi en Bulgarie, mais malheureusement en moins bon. Puis dans un café plus loin, je retrouve le "sahlep" que je connaissais de la Syrie, une boisson un peu épaisse et très douce (au lait d'amande me dit Bilal ?).

Bilal nous apprend à jouer à la "tavla", un jeu très proche du backgammon. Tout le monde en est fou ici, et je comprends pourquoi ! On enchaîne les parties. A tout moment le meneur peut perdre la main, ce qui crée une tension constante, et beaucoup de suspens ! La tradition veut que le gagnant ferme la boîte et la donne à l'autre : "va apprendre à jouer et reviens !".


Je réalise que c'était la St Patrick : bien loin des Celtes cette année...

Le lendemain, Mehmet doit aller à la fac pour ses cours. Pendant ce temps, je me promène en ville et décide de me payer le petit luxe d'aller au hamam. Après les bains turcs à Budapest et en Syrie, je suis curieuse de savoir comment ils sont vraiment en Turquie. Il y en a un derrière la mosquée Serafeddin, place Hükümet Alani. Je rentre, et dans l'entrée circulaire habituelle, entourée de cabines individuelles, une famille mange autour d'une table. Seule une petite fille parle un peu anglais.

A l'intérieur, pas de bains comme en Hongrie, mais une grande table chauffée au centre et des lavabos avec des robinets d'eau chaude et d'eau froide sur les côtés. Il faut se recouvrir d'eau avec des petites bassines en plastiques et s'allonger sur la grande table. Ca me rappelle des images de tables de sacrifice... Au plafond, le dome est percé de quelques trous qui laissent passer des rayons de soleil. Je me sens un peu perdue car il n'y a personne d'autre dans le hamam. La femme de l'entrée arrive plus tard pour le "peeling" : pour euphémiser, c'était énergique ! J'ai l'impression que ma peau est en train de muer. Ca me rappelle la fois en Syrie, où la femme me montrait la quantité de peaux mortes qu'elle enlevait avec le sous-entendu réprobateur que j'étais vraiment sale et n'allais pas assez au hamam ! Puis vient le "massage". Entre guillemets, car rien à voir avec ce qu'on entend chez nous par massage. Là, je me sens un peu comme une pâte à pain. Je découvre des bleus dont je n'avais pas conscience. A la fin, j'ai l'impression étrange d'être autant épuisée que revigorée. En sortant, je trouve bizarre de revoir cette femme toute habillée et voilée, alors qu'un peu plus tôt elle n'était habillée que d'une culotte.
Mehmet, que je rejoins ensuite, trouve que j'ai l'air "plus blanche" !

En sortant, face à la mosquée, ce que je prenais pour une célébration religieuse est en fait une manifestation. Pour la Palestine on dirait. A ma grande surprise, les femmes sont séparées des hommes et agitent leurs drapeaux un peu plus loin sur le côté...



Ca me rappelle ce qu'un Turc me disait plus tôt : il n'épouserait pas de non Turque. Pourquoi, la langue, la culture ? Parce que les femmes turques ont tout appris pour être de bonnes maîtresses de maison, cuisinent, nettoient, élèvent leurs enfants pendant que l'homme travaille pour ramener de l'argent à la maison. J'avais essayé d'expliquer qu'en ce qui concerne l'indépendance de la femme, cette situation était mauvaise, mais pour lui, ce n'était qu'une forme de "division du travail" tout à fait juste.



Chapelets

Les heures de prière (cinq fois par jour)

Visite de la mosquée Serafeddin puis air de kaval dans le parc Allâeddin, au soleil. Ca progresse, même s les gens ne s'arrêtent pas vraiment pour écouter ! Je retrouve Mehmet pour manger un vrai kebab, mélange de viande, d'épices et d'herbes accompagné de légumes et de petits pains. Puis je me promène dans le bazar. Il y a de vrais rues spécialisées : vêtements, bijoux, légumes, marteaux...


Les fruits sont sur de grandes tables à roulettes que portent et manoeuvrent un seul homme qui se bat avec les voitures pour traverser la rue. Beaucoup d'hommes sont assis dans les cafés, discutent, jouent, le chapelet à la main. Je les imite et passe quelques heures tranquilles au café.



"Tıp Fakültesi" : en turc, "faculté de médecine", mais en bulgare, "université stupide" !

Après un retour un peu plus mouvementé que prévu (je manque l'arrêt et marche un moment sur les rails...), je retrouve Mehmet et ses collocataires. J'apprends beaucoup de choses sur la vie de Mehmet. Il est Kurde, mais ça ne l'empêche pas de se sentir également Turc. Des amis de leur promo en architecture nous rejoignent et on passe une très bonne soirée ensemble.

Samedi est ma dernière journée à Konya. Mehmet m'emmène dans la banlieue de la ville, dans un quartier très joli qui fait le bonheur des familles et des promeneurs, près d'une rivière. Les gens sirotent des thés près de l'eau, se baladent. Je m'étonne de voir tant de jeunes enfants vendre des mouchoirs ou des fleurs, mais Mehmet m'explique que c'est très fréquent en Turquie et que lui aussi, petit, a du aidé sa famille (neuf enfants) en travaillant le weekend. Pause "gözleme" (ces crêpes cuites sur des plaques bombées) et retour au centre.





Dans la soirée, nous retrouvons Payam, un Couchsurfer iranien en visite à Konya. Nous avons presque fait le même voyage à partir d'Ankara, sauf qu'il a dormi dans une vraie grotte au milieu de la nature à Göreme. Il nous parle des dangers du Couchsurfing en Iran, où il est interdit par la loi de recevoir des étrangers chez soi. Il prend beaucoup de risques...

Payam et Mehmet

Voici venu le moment que nous attendions tous : la "semâ" des derviches tourneurs, samedi soir, qui a lieu dans le grand centre culturel Mevlâna. A l'entrée est gravé dans presque toutes les langues l'un des enseignements de Mevlâna : "Paraît celui que tu es ou sois celui que tu paraîs". Simple et à la fois loin de l'être.


La salle est un très grand amphithéâtre. Les voiles des femmes donnent des couleurs à la foule. Musiciens et danseurs entrent en scène, tous protant le même chapeau et une cape noire.



Ils se saluent deux à deux, très lentement et gracieusement, en ronde.


Le mouvement de rotation est capital : c'est celui des planètes autour du soleil, de la vie qui vient de la terre et y retourne, du sang en nous.


Voix, ney et orchestre accompagnent la danse. D'autres danseurs rejoignent le premier groupe. Certains ont sûrement moins de dix ans. Ils saluent le "maître", immobile. Leurs bras croisés, les mains posées sur les épaules, symbolisent l'unité de Dieu. Ils entrent dans la ronde : très délicatement, un pied se soulève, entraîne tout le corps, leur jupe s'élève et leurs mains se baissent sur leurs hanches et remontent. Une main est tournée vers le haut, pour capter l'énergie divine, et l'autre est tournée vers le bas pour la diffuser au monde. On dirait une boîte de musique qui s'actionne automatiquement quand on l'ouvre.





Certains danseurs semblent entrer en transe.


Les danses se répètent, entrecoupées de moments d'immobilitité. Les capes noires sont tombées, symboles de de la libération du corps et de la mort et de l'union avec Dieu. A la fin, les derviches les remettent. L'un d'eux lit un passage du Coran, en perse. Tout d'un coup, je suis surprise d'entendre un grand murmure tout autour : les gens prient, les mains pliées comme pour recevoir quelque chose, répétant les mots du derviche. C'est peut-être le moment que je trouve le plus fort. Cette cérémonie n'est pas un spectacle, mais a un vrai sens religieux.

A la sortie, les amis de Mehmet nous emmènent dans une fontaine assez extraordinaire. Elle est entourée de colonne qui soutiennent un toit rond. Quand on se place devant l'une d'elles et que quelqu'un nous parle d'exactement la colonne d'en face, on l'entend comme s'il parlait dans un haut-parleur, alors que les autres l'entendent normalement. Magie noire ? C'est un effet architectural apparemment.

"L'équipe" de Konya

Fin de soirée à discuter avec Emre et Mehmet chez lui. Mon camp footbalistique est choisi, ce sera Galatasaray (c'est bien pour faire plaisir à Mehmet !) : séance photo avec le T-shirt avant l'heure du départ. Vers 2h, Mehmet, Emre, Hayri et un autre copain m'accompagnent à la gare. Dans la voiture, je réalise déjà combien ils vont tous me manquer. C'est dur de quitter Konya...



Dimanche 21 mars : Tasucu (Turquie) et Girne (Chypre)


Difficile de dormir dans le bus. Dans un demi sommeil, j'entends le chant du premier muezzin : c'est l'aube. On arrive à Selifke peu après, vers 5h30 : courte nuit. Un "dolmus" (bus qui ne part qu'une fois rempli - le nom signifie "complet") nous amène à Tasucu, d'où les ferrys pour Chypre partent.


Les paysages sont très beaux, il n'y a personne encore dans les rues, le soleil se lève. On prend de toutes petites rues, gravissant les collines, d'où la vue sur le port est superbe. La mer ! Je suis surprise de la revoir, d'abord, puis je me souviens qu'à part à Istanbul, ça fait depuis novembre, à Burgas, que je ne l'ai pas vue !



Arrivée à Tasucu. Ticket en poche pour Chypre, pas question de dormir avant d'avoir fait le tour des lieux. Je suis frappée par l'ambiance. No big news : méditerranéenne. Sur la plage, un chien vient me tenir compagnie, comme à Göreme : ils doivent reconnaître la nomade en moi surtout dans ses moments d'air en vrac et d'errance au hasard.


Je tombe sur le tout début du marché. C'est rare car je ne me lève d'habitude jamais assez tôt pour les voir.


Coup de barre : je dors une heure au soleil en attendant le départ.


Dernier sahlep : la Turquie va vraiment me manquer.




La traversée en ferry est moins aventureuse que celles à Istanbul. On dirait un taxi des mers plutôt, je m'attendais à plus de remous.





Dimanche 21 mars - lundi 22 mars : Girne (Kyrenia)

Les premières heures à Chypre sont franchement assez mauvaises. J'attends une réponse de Matthew, le Couchsurfer qui m'accueille, mais je n'ai plus que très peu de batterie sur mon portable, peu de crédit, et je remarque que les prises sont à l'anglaise ici, c'est-à-dire non compatibles avec mon chargeur. Je n'ai ni livre sur Chypre ni carte. Un dolmus me permet de rejoindre le centre. Dans un sens, tout semble fonctionner un peu comme en Turquie. Un monsieur très gentil m'aide à chercher une carte - ça compense les autres impressions. Le sac sur mon dos commence à peser et la fatigue n'aide pas. Autour, beaucoup de touristes (des Anglais surtout - ils ont occupé l'île pendant un siècle), et tout ce qui va avec en termes de magasins et de cafés. A la recherche de cabine téléphonique, je croise deux vieilles dames, on se cogne sans faire exprès et l'une d'entre elle me crie dessus : son pull est abîmé ! Je réfreine un élan de haine...

Mais il n'y a pas à dire, l'île est très belle...




Comme en Turquie, Atatürk veille...


Finalement, tout s'arrange et je retrouve Vural, un autre Couchsurfer, pour un verre sur le port. Tous les serveurs nous appelent pour aller dans leurs restaurants, les gens sont bien habillés, les filles toutes maquillées, je ne me sens pas très à l'aise dans cet endroit. Mais on passe un bon moment. Plus tard, on rejoint un autre Couchsurfer, Judah, qui est un copain de Matthew de la "Girne American University". Dîner au "simit" fromage (le simit est une sorte de pain en forme de cercle) et börek (comme une banitsa bulgare). Sur la route du campus de l'université, on croise Matthew, qui rentre avec nous. C'est officiellement lui qui m'accueille.

Après une bonne nuit (très) réparatrice, je retrouve Matthew pour un tour dans Girne. Il est Nigérien, à Chypre depuis quatre ans pour des études d'informatique. Il est très calme et sympa. On s'entend tout de suite très bien et discutons longuement devant des paysages paradisiaques. Je comprends que tant de touristes soient attirés par cette île.

Matthew








Lundi 22 mars - mardi 23 mars : Nicosie


Les malentendus qui font le charme du voyage : comment ça, il faut que j'aille de Girne à Lefkosa pour pouvoir rejoindre Nicosie ? Ca va allonger ma route ce détour ! ...en fait, c'est le nom turc pour Nicosie ! Du côté grec, la capitale est appelée Lefkosía. D'où vient le fait que dans beaucoup de langues on l'appelle Nicosie ?

Je quitte la "république turque de Chypre nord" pour Chypre Sud, qui elle seule fait partie de l'Union européenne. Pour plus d'informations sur le conflit à Chypre, voici un article intéressant.



Dans le no-man's land occupé par l'ONU, quelques bâtiments en ruine, des fils barbelés un peu partout.


"We are all humans"

De l'autre côté, plus question de république turque ni même de partie turque : les douanes me demandent si j'ai acheté quoi que ce soit dans la "zone occupée".

Carte de Nicosie. Plus de noms de rues au dessus de la ligne verte (le nom de la frontière) ? "Area inaccessible because of the Turkish occupation" ("zone inacessible pour cause d'occupation turque")

Bien que j'aie cru que Ledra Street, où je devais retrouver Skevi (une Couchsurfer qui m'accueille ici), était à côté de Ledra Palace alors que non, on finit par se trouver, après mon passage du côté turc au côté grec. Elle a une trentaine d'années et est architecte (décidément). Un grand sourire très accueillant. Pour la première fois, j'entends le grec de Chypre, que je trouve très chantant.

Skevi

Les rues du centre de Nicosie sont petites, tordues, colorées. Beaucoup de jaune, très doux. Ca m'évoque l'Italie et la Grèce, même si je n'y suis jamais allée. Par contre, la grande rue commerçante, la rue Ledra, est digne de toutes celles des villes touristiques européennes. Je retrouve l'Union européenne, pour la première fois depuis presque huit mois. Et avec, les mêmes grandes chaînes de magasins de vêtements, de téléphones, de souvenirs. Les prix ne sont bien sûr plus en lires turques, mais en euros, et parfois même en livres sterling !


Dès qu'on quitte cette rue animée cependant, le calme est apaisant. Je retrouve les églises (orthodoxes, comme en Bulgarie) après une semaine de mosquées. Sur une place pleine de charme, ensoleillée, quelques personnes à la terrasse d'un petit café qui me rappellent les vieux bistrots en France.


Après un tour du côté grec, je reviens vers "la ligne verte" et le côté turc. "Nicosie, dernière capitale divisée", indique un panneau.

Berlin Wall n°2

Devant la frontière, un Chypriote turc, Cahit (prononcer [djahit]) vient me parler. Eux ont accès aux deux parties de l'île, à la différence des Turcs qui ne sont pas nés à Chypre, comme Vural (que j'avais rencontré à Girne). On découvre par hasard qu'il est étudiant à la Girne American University, où il était encore, comme moi, ce matin, et qu'il connaît Matthew ! Le monde est vraiment petit, d'autant plus que je ne connais vraiment pas beaucoup de gens à Chypre !

Cahit

Il  me fait visiter une partie du vieux centre de Nicosie, du côté turc, en passant par la mosquée Selimiye, ex cathédrale Ste Sophie, très belle, puis par un vieux marché couvert en passe d'être détruit, et enfin par la grande place Atatürk.


De l'autre côté, Skevi m'a conseillé un petit café, le "Ta Kala Kathoumena", dans une toute petite rue près de la rue Ledra. Visiblement un repère "alternatif", d'artistes (ma voisine fabrique des bijoux avec des cordes et des cailloux), voyageurs... Je suis un peu désarçonné par les noms grecs sur la carte, habituée à leurs équivalents en turc. En tout cas je ne suis pas sûre que le "triantafilo", lait à la rose, ait un pendant turc. Skevi me retrouve là, puis un de ses amis danseur de tango.

De retour chez elle, elle cuisine une très bonne soupe de carottes, potirons et poireaux et me fait goûter quelques spécialités, comme les "shoushoukkos", des sortes de "Turkish delight" faits à partir de raisins, ou le "halloumi", un fromage blanc et salé.

Lendemain très tranquille : on ne bouge que dans l'après-midi, dans le vieux centre. A nouveau, l'ambiance est calme et les rues lumineuses.



Joueurs de tavla

Dans le quartier des scieries

Je longe la frontière entre les deux parties non seulement de la ville mais de l'île.



Ces rues sont plus calmes et désertes que les autres... voire désertées. De temps en temps, quand une rue reliait les deux côtés, un mur, des barricades et des barbelés peints aux couleurs grecques bloquent tout passage.




Des tags anti-turcs (il existe sûrement des tags anti-grecs de l'autre côté), une mosaïque du mot "peace".



Dommage que je ne reste pas plus longtemps pour discuter plus de cette situation avec les gens. L'année 1974, depuis laquelle l'île est divisée, revient souvent dans les discours. Sur un arbre, des photos de disparus chypriotes grecs en 1974 sont suspendues.


Les traces de balles datant du conflit de 1974 sont encore visibles sur cet immeuble proche de l'actuelle frontière à Nicosie

Sans vouloir paraître naïve, pourquoi faut-il  choisir entre Grèce et Turquie, et pas pour Chypre elle-même ? A nouveau, lisez cet article (Nicosie, ville divisée) pour plus d'informations, car encore beaucoup de choses m'échappent encore sûrement. Si la partie Nord mérite son surnom de "petite Turquie", celle du Sud est un mélange entre la "petite Grèce" et la "petite Angleterre" : mêmes conduite à gauche, prises à trois trous, système institutionnel...

Un bus me conduit de Nicosie à Larnaka, sur la côte sud du pays. Le trajet passe très vite : traverser Istanbul prendrait peut-être plus de temps que traverser Chypre. Un peu avant d'arriver, un panneau indique : "End of motorway" : plus loin, c'est la mer.

(Suite bientôt)

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